You are currently viewing Jean-Yves Leloup, théologie

Jean-Yves Leloup, théologie

Théologien, docteur en philosophie et psychologie, prêtre orthodoxe et écrivain

Dernier livre “Faire la paix. Qui est en face de moi ?”. Editions du Relié 2013

Cher Jean-Yves Leloup,

Lorsque vous avez dit “oui”, en toute simplicité et avec chaleur à mon invitation à répondre à mes questions sur “Parole Donnée”, cela a été une grande joie.

D’ailleurs, dans le texte qui suit, vous ne répondez pas directement à chacune des questions…tout en me faisant ce retour intéressant :

“c’est celui qui pose la question qui est la réponse à la question“.

Peu importe la manière, à mes yeux l’essentiel…voire l’essence, est là.

MERCI !

Voici les questions telles que je vous les ai posées.

1) Qu’est-ce qui dans la spiritualité n’est pas réductible à la psychologie et dans la psychologie n’est pas réductible à la spiritualité ?

2) Jésus était-il un thérapeute en avance sur son temps ? Qu’est- ce qui le rapproche ou le différencie des Pères de la psychanalyse ?

Voici la réponse de Jean-Yves Leloup :

Non Sum, Ergo Sum

Le message, l’enseignement, la bonne nouvelle des grands sages et éveillés de tous les temps est toujours le même et d’une simplicité foudroyante : « vous n’êtes pas ce que vous n’êtes pas, vous êtes ce que vous êtes. »

« Est, est ; non est, non est » – « ce qui est, est, ce qui n’est pas, n’est pas » (cf. évangile, traduction ou la vulgate).

Les différentes voies, thérapies ou religions vont s’organiser en insistant sur tel aspect plutôt que sur tel autre.

Sur ce que nous ne sommes pas ou sur ce que nous sommes

« Non est » – je ne suis pas.

« Est » – je suis.

Nous ne sommes pas l’ego, le monde, la matière, le mal, la souffrance, l’illusion, le mental, les mémoires, les pensées, les agrégats, etc… Se délivrer de ce que nous ne sommes pas est la condition pour découvrir ce que nous sommes.

Ces voies seront des « voies purgatives », la purification de tout ce qui n’est pas est la condition de l’accès à l’infinie pureté de ce qui est ; d’autres voies insisteront davantage sur la connaissance et la contemplation de ce que nous sommes vraiment : la lumière, la paix, la vie, la vacuité (l’espace vidé de ce qui n’est pas), l’Être, le Dieu, le Saint, le Sacré, le divin, le Réel souverain qui a tous les noms et qu’aucun nom ne peut nommer, l’affirmation de cette Présence : « Je suis qui Je suis » peut me libérer de tout ce que je ne suis pas et me donne accès à la Trinité intime au cœur du Réel, l’Être (Père), la Conscience (Fils – Logos), la Béatitude (St Esprit / Sat – Cit – Ananda disent les textes sacrés de l’Inde).

Les thérapies ou méthodes de soin, de salut ou de libération de ces différentes « voies » se résument en trois dénominations :

I – Thérapies purgatives (actives et cognitives)

Dans un premier temps, il s’agit d’évacuer (d’exorciser) le mal, la maladie, la souffrance, la peur, le manque (désir), le tourment, le doute, la question, pour accéder à une vie sans souffrance, sans douleur, sans doute, sans mensonge, sans désir, sans peur – ni attraction, ni répulsion, considérée comme la vie bienheureuse, notre vraie nature, ce que nous sommes vraiment, il s’agit ensuite, par l’observation, d’intégrer plus que d’exorciser, le mal et la souffrance, les dépasser, connaître leur cause (le mental, l’ego, observer les mémoires qui nous constituent, l’enchaînement des causes et des effets, s’en dégager pour devenir libre. Le « libéré vivant » (jivan mukta) qui est notre véritable nature libre et lumineuse.

II – Thérapies illuminatives (contemplatives)

Il s’agit moins ici de lutter contre le mal que d’affirmer le Bien, de lutter contre les ténèbres que d’affirmer la lumière, de lutter contre l’ego que d’affirmer le Soi.

Ne pas lutter contre ce que je ne suis pas (mon ombre, mon double, mon ego), prendre conscience plutôt du Je suis que Je suis (la présence même de l’Être en moi, en tout et en tous).

Affirmer, contempler, vivre en cette Présence de « Je suis » peut me rendre libre de ce que je ne suis pas et de ce qui n’est pas. C’est vivre éveillé, être sorti du sommeil et de l’illusion, c’est vivre sauvé, « sauvé de l’enfer », de l’enfermement dans « l’ego » (péché, illusion) et ses « mondes » (souffrance, impermanence) pris pour la réalité.


III – Thérapies unitives (contemplatives, actives)

Après être purifié de ce que je ne suis pas et avoir pris conscience de ce que je suis, il est temps (Kairos) de célébrer et de mettre en « acte » ce que « je suis », par la louange et la compassion.

On peut parler alors de thérapies « eucharistiques » (eucharistia = remercier, rendre grâce).

Le processus de guérison peut également commencer par ce type de thérapie. Remercier, rendre grâce pour la Présence de l’Être reconnue comme partout et toujours présent.

La gratitude dilate le cœur et le corps et peut nous dégager de leurs nombreuses et pesantes cuirasses.

À travers le Don et la compassion c’est le mouvement même de la Vie qui est en marche, qui circule et nous met en relation « unitive » avec tout ce qui existe.

Le « Je suis qui Je suis » se révèle comme « Je suis qui aime », dans cet amour, tout est respecté dans son altérité ( sa forme) et tout est Un.

Quand « Je suis » aime, il fait ce qu’il veut (aimes et fais ce que tu voudras) comme un soleil, il brille « sur le juste et l’injuste ».

« Celui qui n’aime pas demeure dans la mort ». Le but de toutes ces « voies » et thérapies n’est-ce pas de « passer » de ce qui est mortel à ce qui est toujours vivant ?

Retrouver en nous la capacité d’aimer, d’aimer tout ce qui est tel que cela est (sans complaisance, sans fatalisme), c’est retrouver notre « capacité de Dieu » (capax Dei). « Dieu nul ne l’a jamais vu », « Celui qui aime demeure en Dieu et Dieu demeure en Lui ».

Plus profond que Celui qui n’aime pas en nous (le souffrant, le malade, le pécheur, l’ego, le mental, etc), découvrir Celui qui aime en nous (le Soi, l’Être, Celui qui a tous les Noms et qu’aucun ne peut nommer). Marcher, vivre, souffrir même, mourir en Sa Présence (qui ne naît ni ne meurt) pour le bien être de Tout et de Tous.

Thérapies purgatives, illuminatives et unitives sont inséparables et peuvent être pratiquées ensemble (plutôt que progressivement ou séparément) car à quoi bon parler de contemplation de l’Être et de célébration de l’amour, si nos mémoires, nos attractions, nos répulsions, notre souffrance nous empêchent de les éprouver ?

Mais aussi à quoi bon se purifier, se nettoyer de toutes ces entraves si ce n’est pas pour laisser être Celui qui est, Celui qui aime en nous et le célébrer par le service, la compassion, la louange (qui est le don du cœur dans la joie) ?

Travail psychique et ouverture spirituelle sont indissociables.

Connaissance de soi et connaissance du Soi, connaître le Je suis que je ne suis pas et le Je suis que je suis.

La connaissance de soi sans la connaissance du Soi peut conduire au désespoir (je découvre par moi-même que je ne suis rien – non sum) je ne peux pas me donner ni l’être, ni la vie, ni la paix.

La connaissance du Soi sans la connaissance de soi peut conduire à l’inflation (la grenouille qui se prend par un bœuf – le moi se prend pour le Soi) ce n’est que dans l’expérience du « non sum », de ce que je ne suis pas, que je découvre la Présence du « sum » que je suis.

Tel est le paradoxe dans lequel vit tout être humain éveillé ou en

« grande santé »… : « non sum, ergo sum ».

propos recueillis le 04 mars 2011